Au nom de la fraternité…

          Je viens de passer 15 jours en Haïti. Voyageur arrivant d’Europe pour la première fois dans ce pays, dès la sortie de l’aéroport de Port-au-Prince, ce qui frappe le plus, peut-être, c’est le paradoxe entre l’apparent chaos urbain et l’activité intense que mènent les gens qui s’efforcent d’y vivre et d’y faire vivre leur famille. Le contraste aussi entre la pauvreté évidente des habitants et d’autre part la dignité qui est la leur, et même parfois une saisissante noblesse saisie au hasard d’un regard croisé. Ces familles des quartiers pauvres, en habits du dimanche, avec les enfants aux chemises bien blanches, combien de travail pour des mamans qui n’ont pas de machine à laver, et souvent pas vraiment l’eau courante?

Il s’agissait surtout pour moi d’observer, d’écouter -notamment les enseignants – pour déterminer avec les gens sur place ceux des besoins auxquels notre association, HAÏTI en Chœur, pouvait contribuer à répondre.

Il s’agissait aussi de rencontrer les élèves, pour se confronter à la réalité de tous les jours que vivent les enseignants et tous ceux qui travaillent dans l’établissement. Évidemment les difficultés des familles, pour lesquelles se nourrir, se loger, se vêtir constituent un exploit au quotidien, ne manquent pas de réagir sur les capacités d’apprentissage des enfants. Pour les élèves, aux difficultés économiques familiales, s’ajoute la difficulté d’un enseignement où les examens sont en français alors qu’eux-mêmes sont créolophones. Les enfants des familles où l’on parle davantage le français à la maison s’en sortent globalement mieux scolairement.

J’ai animé des séances de projection de films, de lecture de contes, d’apprentissage du jeu de dames. Un jeune public qui avait envie de découvrir et d’apprendre. Cette participation concrète à la vie de l’établissement m’a aussi permis de mieux observer et de plus fructueusement échanger avec ses responsables.

Ce travail d’observation a été fait. Les enseignants sont demandeurs des supports pédagogiques qu’ils ne trouvent pas sur place, handicapés par ailleurs par le fait qu’ils n’ont très généralement qu’un accès anecdotique au web et donc à la documentation en ligne et à la possibilité de l’imprimer. Tout le soutien qu’il est possible d’apporter doit être apporté. Il est attendu.

D’ores et déjà, la salle informatique, la bibliothèque, la projection de films, sont des nouveautés qui ouvrent les enfants sur le monde, contribuent à les sortir de cet enfermement dans un monde non connecté qui prolonge l’enfermement séculaire d’Haïti, hier voulu par un occident qui n’avait pas accepté pleinement son indépendance.

La fraternité humaine nous crie qu’ils ont le droit de sortir de cet enfermement, que ce siècle est aussi le leur, qu’ils ont le droit de pouvoir se battre en ce siècle pour que leur pays trouve sa place dans l’économie mondiale. Abusant de sa religiosité, certains veulent faire croire au peuple, trop souvent peu ou pas instruit, qu’il est victime de punitions divines, et que finalement il n’a donc pas à se plaindre : cela permet aussi de justifier les inégalités sociales; et cet obscurantisme, bien loin de l’authentique spiritualité, doit être de toute évidence combattu.

Ce voyage a vocation à être suivi de beaucoup d’autres. L’accueil est chaleureux. L’apprivoisement réciproque dans des relations personnelles durables aura toute la valeur de ce que le temps permet d’édifier.

                  J’ai déjà remercié toutes celles et ceux de France et d’Haïti qui ont permis ce voyage, je les remercie aussi ici. Je remercie aussi les enfants, si riches de leur confiance en l’avenir et de leur générosité spontanée (plusieurs de ceux que j’ai rencontrés rêvent de devenir médecins, ceux qui rêvent de devenir Président de la République le rêvent pour de bonnes raisons).

8 novembre 2017

Pierre Boyer.

Un membre de notre association est en Haïti

Un des quinze membres  de HAÏTI en Chœur, Pierre Boyer, est actuellement en Haïti. Le Conseil d’Administration qui s’était réuni le dimanche 22 octobre à la Maison sainte Geneviève a validé son projet de voyage et de séjour à l’Institution Notre Dame des Petits à Port-au-Prince. Arrivé sur place depuis le mardi 24 octobre, Pierre organise des séances d’activités ludiques pour les enfants afin de leur transmettre la langue française et de les initier à la littérature. Ces activités vont de l’apprentissage du jeu de dames au visionnage de classiques du cinéma convenant à l’âge et au milieu des enfants haïtiens. Les enfants font aussi la lecture de BD ou de livres jeunesse. Ces activités ne concernent que les classes de CM2 et de 6e. La mission de Pierre dans les autres petites classes se résumant à de l’observation. Bientôt, en temps réel,  nous aurons des retours et les impressions de Pierre de l’expérience qu’il vit sur ce blog.

Quelques belles images d’Haïti

Nous oublions souvent que Haïti est un pays où les gens vivent et peuvent être heureux. Les médias nous transmettent toujours des images pitoyables du pays. Les associations mettent en avant les problèmes et les soucis du peuple. Cette page est destinée à montrer autre chose, un coté plus charmant d’Haïti. En Haïti, il y a en effet de belles choses, de beaux monuments historiques et des éléments du patrimoine mondial, de belles plages… C’est une des plus belles, et de loin, la plus originale des destinations touristiques de la Caraïbe. Voyez vous-même à travers les photos prises par notre président.

Une nouvelle classe à l’école INDP

Ce 4 septembre 2017 est spécial pour l’Institution Notre Dame des Petits (INDP). Une nouvelle classe a été créée au sein de l’établissement : la 6e. L’ouverture de cette classe était un défi pour l’établissement. Elle est néanmoins significative parce qu’elle permet à l’établissement d’offrir une formation plus complète à ses élèves. HAÏTI EN CHŒUR soutient cette initiative qui permettra à l’établissement de faire passer les examens officiels dans deux ans,  aux élèves qui seront, alors, en 4e. Ces élèves sont les premiers à bénéficier de la salle informatique et de la bibliothèque, récemment installées dans l’établissement grâce à la générosité des adhérents de HAÏTI EN CHŒUR.  De plus, un membre adhérent de notre association, Pierre Boyer, compte aller en Haïti en octobre prochain pour donner des cours de français aux élèves de la 6e et faire du soutien scolaire,  bénévolement.

Un talent déniché

Lundi 11 septembre 2017. Il est 14h 52 en Haïti et il fait encore très chaud. Je rentre de Léogâne, la ville de la reine-cacique Anacaona, ville, située au sud de Port-au-Prince. Je viens tout juste de prendre connaissance de la participation de HAÏTI EN CHŒUR,  à la fête des associations de la ville d’Épinay-sous-Sénart. Anne-Marie, la trésorière de l’association, a fait un compte rendu par mail au Conseil d’Administration ; et Aurélie, membre de ce conseil, m’a transmis des photos que j’ai publiées sur la page Facebook de HAÏTI EN CHŒUR. Un travail impeccable !

Je pense à mon retour demain en France. Encore huit heures de vol, me suis-je dis. Néanmoins, j’ai hâte de revoir mes amis et de leur parler de la situation dans mon pays. Certainement c’est un pays à problèmes et qui souffre, mais c’est aussi un pays où le peuple est extrêmement courageux. Ici, on n’est jamais vraiment seul. Le contact humain est si fort qu’on finit par penser qu’il est peut-être imposé. On accorde tellement d’importance au groupe, aux autres, à leurs problèmes… En regardant les choses en face, on se rend vite compte que nos difficultés et nos manques sont insignifiants devant ceux de cette population dépossédée.

Un exemple. J’ai fait une rencontre fascinante à la fin du mois d’août. Une petite fille fascinée par le chant spirituel et la langue française. Elle vit avec ses parents au sud de Port-au-Prince, dans la ville de Léogâne. Elle s’appelle Beltude. C’est une magnifique jeune fille de douze ans. De corpulence bien élancée, elle a une peau noire suave étincelante, des beaux yeux noirs qui illuminent son visage. J’ai été frappé de voir un enfant si chantant. En plus, elle prend l’école très au sérieux. Lorsqu’il s’agit de se défendre, ce qui lui arrive souvent, cette enfant est capable de manier les mots jusqu’à vous fatiguer. À chaque fois, je me dis qu’elle serait une parfaite avocate si elle a la possibilité d’arriver au bout de ses études. J’ai été aussi touché par le fait qu’elle n’avait pas réussi, toute studieuse qu’elle soit, une de ses évaluations scolaires. Alors, elle s’est évidemment défendue du début jusqu’à la fin. J’ai appris alors qu’elle souffrait du cœur. Ses parents n’ont pas assez d’argent pour l’envoyer à l’hôpital et savoir précisément ce qu’elle a. L’année dernière, elle a dû tout de même consulter un médecin à un moment crucial et elle est restée un mois chez elle pour prendre les quelques médicaments que ses parents avaient pu l’acheter.

« Dans ces conditions, dit sont père, je ne peux te blâmer. Mais gare à toi, il faudra remédier à cela l’année prochaine :  je veux une moyenne de huit [sur dix]. »

Ce dernier ne travaille pas. Sa femme a un emploi à durée indéterminée dans un champ  de légumes. Son salaire ne suffit pourtant pas à nourrir chaque jour ses enfants et à payer leurs frais de scolarité.

Je suis allé chez Beltude. À ma grande surprise, ses parents et elle vivent encore dans un abri fait de morceaux de planches et de vieilles bâches distribuées par l’USAID depuis le tremblement de terre du 12 janvier 2010 qui a détruit leur logement. Chose inimaginable,  à vous déposséder de vous-même, lorsque vous voyez l’endroit où cette famille s’est installée et en sachant, qu’en plus, elle n’est pas la seule à vivre dans ces conditions si miséreuses. J’ai fait plusieurs aller-retours à Léogâne. J’ai pu me familiariser beaucoup plus avec cette chanteuse en devenir. Et puis, j’ai vu une vidéo de la fillette en train de chanter. Ce n’est pas époustouflant pour des oreilles françaises. Elle n’est pas non plus une surdouée. Mais ce qui m’a surpris c’est l’histoire de la chanson contée par la grand-mère de la fillette:

« Ce jour-là, on était allé sur la montagne pour prier. Et elle chantait avec tout le monde. Après la prière, elle a continué à chanter toute seule. Et un musicien l’a approché et lui a proposé de l’accompagner avec sa guitare. Il lui a dit: ‘’ suis le rythme de la guitare ’’. Et Beltude a commencé à chanter. Sans rien dans la main. Sans avoir réfléchi. Elle s’est laissé porter par le rythme, et c’était tellement impressionnant qu’on a pris la vidéo. »

Je n’avais pas compris tout de suite ce qu’elle essayait de me dire. Mais, j’ai revu la vidéo, et elle m’a redit l’histoire avec le même enthousiasme. En y prêtant un peu attention, car il fallait lui montrer que j‘accordais de l’importance à ce qu’elle me racontait, j’ai fini par lui poser une ou deux questions. Et c’est là que j’ai compris son enthousiasme. En fait, la fille ne faisait pas que chanter sur la vidéo, elle composait. Le guitariste lui a mis un rythme, elle l’a assimilé et a mis des mots là-dessus, ses propres mots pensés au moment  même où ils sont dits. Je ne suis pas du tout mélomane, mais cela, je le trouve extraordinaire.

La chanson était évidemment en haïtien. Les mots utilisés et les images choisies par Beltude sont de son âge. Ils se réfèrent à l’esclavage des Israélites en Egypte et leur salut accompli par Dieu. Mais, ils se réfèrent de façon actualisée dans sa vie à la maltraitance des enfants en général en Haïti, et à l’expérience du fouet qu’elle fait avec ses parents. Aussi, Dieu l’a délivré, et si ce n’était Lui, on lui aurait « toupizi ». Au début, lorsque je voyais la vidéo, il m’était impossible d’avancer et de finir de la visionner tellement ce mot « toupizi » est bizarre à cet endroit et dans la chanson. Je rigolais, c’était marrant. A la suite de l’histoire désormais comprise de la grand-mère, j’étais étonné de constater, à travers l’expression innocente d’un enfant qui chante la gloire de Dieu, la place que prenait dans l’inconscient de l’enfant, dans la mémoire et la psychologie sociale du peuple haïtien, l’aliénation de l’esclavage. Beltude m’a ensuite confirmé qu’elle a improvisé les parole de  la chanson et que les paroles lui venaient, comme ça. Désormais d’ailleurs, sa grand-mère lui a assigné une tâche :

« il faut  que tu cherches un cahier et que tu prennes le temps de réfléchir à des chants, ou bien, attendre qu’elles viennent dans ta tête et que tu les écrives sur un cahier ».

Son papa renchérit: « je t’aiderai à corriger par la suite ». Et moi de dire :

« ça, c’est un talent à encourager, un enfant à encadrer, un avenir à garantir, et peut-être même, un petit prodige que HAÏTI EN CHŒUR peut faire éclore ».

Voilà donc ce que je laisse derrière moi. Ces enfants malchanceux posent pour moi un devoir humaniste, et ils me sont un motif d’exode, un impératif d’amour.

Martin Dumais