Cela fait dix jours que je suis à Haïti. Cette semaine, il a plu pratiquement chaque jour. Des rafales de vents qui apportent de l’air frais et viennent équilibrer ce climat trop chaud. Ici on transpire. On transpire beaucoup. Et on se répète. Faut-il accuser la chaleur comme cause de la lenteur des gens dans ce pays? Tout va au ralentit. Ce qu’on peut faire en trois heures, ici, on le fait, si on se presse, en un jour. Pourtant, certains services sont extrêmement rapides si on paie. Quelqu’un me disait que tout est possible en Haïti : « avec l’argent qui ne doit pas te manquer !» Mais parfois, cela ne fonctionne pas.
Quatorze juillet. C’était un vendredi. En France c’est la fête nationale, en Haïti, je suis allé acheté un grand réchaud à gaz. Il sera une alternative au charbon de bois utilisé jusqu’à maintenant pour la cantine de l’Institution Notre Dame des Petits. Ce réchaud nous avait plu au premier coup d’œil, quelques jours auparavant, le 11 juillet. Je prenais alors la route pour me diriger vers la ville de Léogane. C’est la ville où j’ai passé mon enfance ; là vit maman et toute sa famille. Alors, ce mardi-là, de passage, la vendeuse craignait de nous faire entrer pour regarder de prêt le produit. En effet, des voleurs peuvent se présenter en tant que client et s’attaquer à la boutique. Bien-entendu, ce vendredi, la vendeuse ayant appris que je venais, réellement, pour acheter le réchaud, m’a fait entrer, presque cordialement, pour faire l’appoint. Le seul problème : à la fin de la transaction, je lui ai demandé de tester le produit avant de l’emporter. C’est le genre de réchaud qui fonctionne sans allumette. Le premier fourneau a marché. Quant au second, après plusieurs tentatives, elle a dû chercher des allumettes. Ce qui est bizarre, c’est que la vendeuse me mettait de la pression pour que je prenne le produit défectueux sous prétexte que c’est le seul qui restait et que chaque jour des gens viennent le voir. En plus, « l’entrepreneur, dit-elle, n’arrive plus à en trouver de pareil pour alimenter son stock ». Avec quelle arrogance elle me haranguait ! Avec quelle mauvaise foi, m‘affirmait-elle que tout fonctionnait bien. Elle avançait que l’autre fourneau s’allumerait sans allumette à un endroit où il n’y aurait pas de vent ; dans un endroit fermé, quoi ! Sauf, que les deux fourneaux sont sur le même réchaud et positionnés au même endroit. Finalement, au lieu de me donner des explications plus solides ou d’avouer que son réchaud avait un défaut, elle a préféré me lancer : « soit vous le prenez, soit vous me rendez la facture. Il y aura un autre client qui se pressera de le prendre. » Bah voilà, c’est comme ça ! Il n’y a pas plus commercial : on vous promet que vous trouverez ce que vous cherchez, et après on vous force à prendre n’importe quoi au risque de passer pour un idiot. C’est que, Haïti est l’endroit parfait pour constater les paradoxes qui animent l’être humain. Culture de l’accueil par excellence, mais certaines personnes de cette population peuvent être d’un mépris inégalable. Libre, mais enchevêtré dans la pauvreté, ce pays est le lieu rêvé du désespoir et de la résignation ; que je refuse de cautionner…
Retournons à nos moutons ! La pluie est terrible ici. Pas une pluie qui ne fasse penser aux personnes cardiaques. Le tonnerre gronde fort, l’orage se déclare subitement. Lundi dernier par exemple, j’étais avec mon père en train de déballer des livres que HAÏTI EN CHŒUR a envoyé à l’Institution Notre Dame des Petits, quand le temps se referma soudainement sur lui-même. Un éclair partit. On n’avait rien vu venir, sinon qu’une petite brise légère s’était levée, qui nous reposa un petit moment de la canicule. Le fait est, que, chez nous, nous nous informons rarement de la météo. Encore faut-il avoir un poste de télévision ou de radio ! Je n’en ai pas trouvé chez mon père. Ma mère, de son coté, se plaint de n’avoir aucun outil de distraction chez elle. Elle veut un appareil DVD… Les adhérents de HAÏTI EN CHŒUR ont heureusement été sensibles à notre demande concernant l’achat d’un vidéoprojecteur performant haute définition. Dès la rentrée prochaine, les écoliers, de l‘école qui ouvre pour la première fois une classe de 6e, pourront regarder les classiques du cinéma ainsi que des films documentaires instructifs pour enfants. Cela comblera en grande partie le manque qu’accusent nos enfants en distraction et introduira les enfants à la culture cinématographique.
Après l’éclair vient l’orage. On comprend mieux pourquoi le serment le plus populaire des Haïtiens est « tonnè kraze m’… – que le tonnerre m’écrase… » C’est parti d’un coup. La terre elle-même trembla. Le bâtiment fut secoué et nous avec. J’ai failli courir de stupeur. C’est comme si le tonnerre partait de la chambre où nous nous étions tenus. Je pense d’ailleurs qu’ assister à de telles manifestations de la puissance de la nature, peut donner une idée des conditions de vie de nos ancêtres hominidés ; de leur besoin de quête spirituelle et du savoir. En plus, cela dure, dure… S’il pleut 3heures, alors on est là pour une séance de terreur de trois heures. S’il pleut 4 heures, ce sera 4 heures de terreur. Et cela peut durer encore plus longtemps lorsqu’i s’agit d’un cyclone. Deux ou trois semaines sans arrêt pour les cyclones les plus meurtriers que j’ai connus. Alors, il devient pertinent de se demander si ces situations ne permettent pas aussi de saisir quelques éléments des vieilles cultures animistes. La plupart, savons-nous, sont nées dans des régions tropicales. En tout cas, impossible ici de rester insensible au mystère de la nature. La peur habite forcément ceux qui vivent ça, aussi souvent. Une peur qui ne disparait pas avec l’orage mais qui se transforme en mythes, rites que traduit quelque part le Vaudou. De peur en peur jusqu’aux désastres que causent ces pluies torrentielles. Elles s’étendent sur tout le pays. Les eaux se déferlent, elles emportent tout. La rue, bétonnée ou asphaltée, se transforme en rivière. Et même à l’intérieur des maisons, il faut s’attendre à l’inondation. Parfois, on passe une nuit entière à payer les conséquences d’un toit en tôles mal recouvert. Cette peur, certains l’utilisent pour leur intérêt, qu’ils soient brigands ou appartenant à un pouvoir institué. Elle freine l’engagement social et politique. Elle permet aux démagogues de divulguer leurs absurdités.
Il pleut encore. Après le grand orage, c’est une pluie à la française qui tombe (ou à l’anglaise si vous préférez). Deux heures que cela s’égraine. L’orage et les éclairs ne sont pas complètement partis. Apaisés, ils ne sont jamais vraiment très loin. A n’importe quel moment ils éclatent en étincelles et grondements. Mais le pire pour la fin… on a vite faim lorsqu’il pleut comme ça ! La saison de pluies s’accompagne souvent, dans les grandes villes, de famine. Tandis qu’à la campagne, la pluie s’espère. Néanmoins, en raison de la déforestation, à la campagne également, la pluie peut-être un invité inélégant. Il peut faire des ravages sévères dans les champs des paysans. La destruction des récoltes à Jérémie et aux Cayes en octobre 2016 en est un exemple. Temps de pluies, temps de cyclones dévastateurs pour Haïti. Attention ! Pas de malheurs cette fois-ci : trop tôt, trop vite ! « Croisons les doigts ! »