4 juillet 2017. 13h00. Environ 2 h de retard à Orly Sud. Un contentement vif et rare m’habite. La peur aussi. Il y a un peu d’agitation. Certains se plaignent du retard mais, en fait,  aucune protestation. D’autres font connaissances et rient sans mesure, je veux dire librement. Les gens discutent entre eux et se cherchent. Rien de cela ne semble gêner les voyageurs. Aucun livre en main. L’ambiance est cordiale. Tout est presque normal. Je suis en direction du Nouveau monde. J’ai quitté le vieux continent via Air Caraïbes qui dessert Port-au-Prince, puis Saint-Domingue.

Cela fait déjà six ans que j’ai quitté cette chaleureuse contrée pour découvrir la France.

Six ans d’assimilation de la culture européenne pour 2 mois de compte-rendu à mes compatriotes.

Six ans à essayer d’appréhender l’âme russe et deux mois de témoignage parmi les miens.

Oui, six ans à découvrir la France pour 2 bons mois de solidarité et de proximité.

Oh ! Deux mois pour combattre le fatalisme et tenter de semer l’espoir dans le cœur de quelques-uns.

Deux mois pour promouvoir la créativité et le travail.

5 juillet 2017. 3h46 sur mon téléphone. Je n’ai plus sommeil. Il doit être 9h46 à Paris. Je pense à ma vie là-bas. Et je pense à la misère que je vois, que je côtoie et que je vis ici. Personne n’a l’air de la remarquer. Il y a beaucoup d’activités dans les rues. La population est tellement jeune ! Et on sent que c’est une jeunesse innocente, douce, soumise ou presque.

Les gens n’ont pas l’air malheureux. La misère ? Tout le monde s’y fait. Moi aussi, il y a six ans, je n’y était pas sensible. Et surtout, aujourd’hui encore, même quand cela m’écœure, je rentre bien dans le système. C’est alarmant. Je comprends.

Il faisait 31 degré hier. C’est le commandant de l’avion qui l’avait annoncé hier juste avant  l’atterrissage à Port-au-Prince. Dans le ciel, au-dessus des montagnes, des colonnes de nuages blancs étincelants qui émerveillent ! En perdant de la hauteur, on peut constater que Haïti est vraiment une terre surélevée. Les saillies des montagnes sont d’une beauté à couper le souffle. Pendant que l’avion roulait et sortait de la piste, on pouvait voir les collines en face. Certaines d’entre elles sont peuplées à la fois de petites cases et de maisons presque chic. En sortant de l’avion qui était climatisé, j’ai eu comme première impression la sensation que je pénétrais dans une étuve. C’était très chaud ! Cependant, la chaleur n’était pas étouffante comme on en fait l’expérience en région parisienne et dans le RER. On sue beaucoup par contre. En tout cas,  j’étais content d’être au pays.

4h00 a.m. J’ai laissé la porte de ma chambre ouverte ainsi que les fenêtres. En France, pendant la nuit l’air se rafraîchit le plus souvent, sauf, les quelques jours de grande canicule. Ici, c’est à peine si je sens un léger courant d’air… tiède. Malgré tout, je suis bien. C’est vrai que la mer doit être à 8-10 km à vol d’oiseau.  L’atmosphère est donc bien ventilé.

Tout ce qui m’écœure m’engage ici. Je ne peux pas changer grand chose. Mais je me dis que les conditions de vie de papa qui a tant lutté dans la vie devrait être meilleures que celles qu’il a aujourd’hui. Il est venu me chercher à l’aéroport. Il ne cache plus ses cheveux gris. C’est un vieillard désormais. Et il a maigri, ou plutôt, il est maigre. Il est venu avec deux enfants de dix ans qu’il héberge à la maison. Les deux sont tout aussi maigres. Le premier est en CE1, le second en CE2. Puis, arrivé à la maison, je découvre deux autres enfants qu’il héberge, aussi, avec leur maman qui travaille comme servante. Les deux fillettes ont 7 et 10 ans. Celle qui a 7 ans est en CE2 et celle qui en a 10  est en CE1. C’est comme ça. Les paradoxes sont choquants dans ce pays. La vie a un autre rythme ici ; il s‘agit d’une autre façon de vivre et même de penser. Non pas seulement selon la raison cartésienne, mais surtout selon la logique de survie ; soutenue par une foi constamment éprouvée.

Il est 4h12. Depuis mon réveil, j’entendais un moteur, maintenant, un camion stationne depuis 10 minutes dont moteur tourne aussi. On entend plusieurs hommes discuter comme  en plein jour. Ici, chacun fait ce qu’il veut. Il faut, cependant,  toujours être bon, souriant, et agréable. Car, en Haïti, chacun se défend, dans la vie, comme il le peut. Tandis que, beaucoup ignorent les règles  de la courtoisie française, qui font, pourtant,  partie de notre culture et de notre éducation, c’est à nous souvent de faire preuve de politesse en saluant chaque personne croisée sur notre route, et surtout la plus bruyante. Il ne faut jamais chercher d’ennuis ! S’il y a un problème vraiment insupportable avec le voisin, on va chez lui très sereinement, et dans le respect, on lui explique par exemple que ses 7 enfants font trop de bruit, que son eau usée déversée près de notre salle à manger nous empêche de prendre le nos repas, que la musique est trop forte chaque jour, etc… L’idée est de lui faire comprendre nos tracas, je veux dire emporter son empathie. Alors, on peut espérer quelques améliorations pendant un temps.

Ici, 4 maisons nous séparent d’une discothèque dont les haut-parleurs hurlent sans mesure. On est forcé d’écouter sa musique et d’entendre l’ambiance qui y règne pendant une bonne  partie de la nuit.  Hier, la musique qui m’accueillit à mon arrivée, à 17h, n’avait pas cessé à 23h, heure à laquelle je me suis couché, pour me souhaiter bonne nuit. Certes, à 3h quand je me suis réveillé, la musique avait disparu. C’est celle des moteurs qui l’a remplacée. De temps à autre j’entends aussi des petits clapotements comme si on frappait à la maison. En plus, notre petite maison est accolée, à droite et à gauche, à  deux autres petites maisons. À l’arrière, un couloir d’un mètre sépare notre maison d’une troisième. Dans ce couloir, les gens font  couler leurs eaux usées.

Il est 4h 28 j’entends de plus en plus le chant des coqs. Oui, à la capitale aussi on peut entendre le chant des coqs. À la campagne, les paysans utilisent le chant des coqs comme horloge. Il y a notamment les fameux réveils de minuit et de 4h du matin. Comme vous le devinez, ce dernier carillon fonctionne depuis une trentaine de minutes. On est forcé de l’entendre même en plein sommeil paysan c’est-à-dire sommeil de guetteur. Parce qu’il faut toujours « ne dormir que d’un œil » pour être sûr que les animaux sont toujours là : en sécurité, dans la cour ou dans les environs. Ce serait dommage qu’un voleur passe et emporte l’animal sur qui on projette tant d’espoir économique, parfois même, l’éducation de l’enfant le plus doué.

Il est 4h 36. Le moteur me signale toujours la présence du camion. On n’entend plus de voix masculines mais j’ai entendu le rire d’une jeune femme. Les ténèbres commencent à s’esquiver. On a l’impression qu’il fait déjà jour. La jeune femme parle encore. Je ne déchiffre pas ce qui se dit ni de quoi il s’agit. Mais c’est gai. Des persiennes de la fenêtre de ma chambre, je jette un petit coup d’œil parce que le mouvement du moteur du camion m’indique qu’il va partir. Je ne vois pas la rue, mais le toit en béton armé de la petite maison de la voisine de gauche. Sympa !

4h 42, le camion est parti. Mais le bruit d’un autre moteur prend la relève. En fait, c’est toujours l’engin qui alimente, en électricité, peut-être la discothèque ou une autre maison. Oh ! Oui j’ai oublié de vous le dire. Bien sûr, quoi de plus normal! Il n’y a pas d’électricité. Et mon Père me disait d’ailleurs que quand bien même il y en aurait pendant la semaine, notre maison ne serait pas alimentée parce que des voitures avaient déterré accidentellement les poteaux qui  apportaient l’électricité aux maisons de notre rue. Alors quand l’électricité d’état d’Haïti (EDH) choisira de faire goûter, un peu, les facilités du courant électrique à la population, nous, nous resterons quand même dans les ténèbres.

Il est 4h du matin. J’entends une voiture monter la colline où nous habitons. J’entends aussi une femme qui crie ou chantonne « Jezi ap retounen…-Jésus revient ». Et elle continue, avec une énergie vitale, proclamant la venue de Jésus et avertissant contre les dangers de l’enfer quelques soient « le niveau de vie que tu possèdes, quelque soit ton passeport et ton visa, quelque soit la personne que tu es, tu as besoin de Jésus ». Elle a vite disparu. Ce sont des prédicateurs ambulants. Le message est court bref, fracassant, bruyant,mais ça fait partie du décor depuis quelques décennies.

Le chant des coqs s’intensifie. Il va vraiment faire jour. Les gens dehors commencent leurs activités; je veux dire s’installent avec leurs petits commerces. Il y a des voitures qui passent, des personnes aussi et si elles sont plusieurs on entend leur voix car, forcément, elles conversent et à haute voix, sans gêne. Maintenant, j’entends aussi  le chant des oiseaux.

5h: il est temps d’aller prendre une douche, de commencer la mission. La douche très confortable de papa fonctionne avec un seau rempli d’eau –  transportée par l’un des garçons rencontrés à l’aéroport. Il s’appelle Hervé. Hier soir, il m’avait apporté un seau plein comme ceux qui contiennent de la peinture, je n’en connais pas la contenance, peut-être 4ou 5 gallons ? Je vais me servir du reste de l’eau que j’avais laissé pour ma douche de ce matin. Il faut être économique ici, l’eau s’achète par camion et il faut disposer d’un grand réservoir pour la conserver. C’est déjà du luxe par rapport à la condition de la population lambda.

Toute la maison dort encore, mais moi je n’ai plus sommeil. J’en ai profité pour vous d’écrire la vie d’ici. Et là, je dois vraiment aller m’hydrater le corps.